vendredi 18 février 2022

The final countdown

 Toutes les images reviennent au moment même des premières notes.

Je suis assis à coté de lui dans les tribunes de Mayol. Il est heureux et moi aussi. Captivé, les yeux rivés sur le spectacle devant lui. Ce sont les rares moments de ma vie ou je le vois heureux, joyeux, content d'être là où il est. Je le regarde sans qu'il ne me voit. On est bien, putain on est bien, ça me fait tellement de bien de le voir heureux. Alors j'espère qu'on va gagner, comme ça, il sera encore plus heureux. 

C'était généralement le samedi soir qu'on se rendait avec mon père et mon frère, au stade Mayol pour voir, non pas du rugby, mais le Sporting club de Toulon, équipe de "Division 1" de football, la Ligue 1 de l'époque. Toulon parmi l'élite du foot français. Oui, ça a duré 10 ans, tout rond. Et clap de fin. Mais ça on s'en fout un peu.
Je ne retiens qu'une chose: la joie de mon père. Cette joie qui devenait la mienne. On partageait un moment. Sans doute parmi les plus délicieux moments de mon enfance. Sur cette musique entraient les joueurs, tout de jaune et bleu vêtus. On savait qu'on allait voir du combat. Oui à Toulon, même au foot, on pense d'abord à affaiblir l'adversaire avant de faire du jeu. Je te raconterai ça un autre jour. Ce morceau lançait les hostilités en quelque sorte. Mon père était concentré, mon frère bouillonnait, et moi, gamin de 10 ans, j'étais comblé d'être là, avec eux. 

Les soirs d'hiver, quand on allait au stade, on mettait notre pyjama sous nos vêtements. Combine de maman précautionneuse et de papa flic qui avait connu les heures de "planton" dans un commissariat d'Alsace. Tu vois le truc? Même à -10° (chose rarement vue sur les bords de la rade), on serait allé au stade. Surtout qu'au retour, on profitait du feu de cheminée, et de deux oeufs au plat divins en attendant "Soir foot" avec l'espoir qu'on parle de nos exploits à la TV française. Tu te rends pas compte toi. Parler de Toulon à la télé, quelle fierté. 

Je crois que c'était une chose simple. Une chose commune, partager un moment avec son papa, vibrer pour des bêtises de foot, de victoire, d'orgueil, d'amour pour sa ville aussi. Car si on a un point commun c'est bien l'amour de cette ville. Ca doit se transmettre ça aussi. Je peux rarement parler de Toulon sans émotion. Toulon c'est mon terrain de jeu, ma fierté, mon père, mon enfance. C'est six lettres que j'ai envie de défendre à chaque instant. Toulon c'est la joie dans les yeux de mon père. Cet homme, à part son travail n'avait de distraction que le tiercé, la bonne bouffe, les champignons en automne, le foot, et surtout à Toulon. J'aimais la passion pudique qu'il exprimait pour ce club. Toujours soucieux de nos défaites, fiers de nos succès. Je crois que dans la vie d'un fils de paysan piémontais, ça apporte un peu de joie simple. Toulon est la ville qui a accueilli ses parents partis d'Italie. 

Moi j'ai tout vu. J'ai tout gardé. Je repasse ce morceau en boucle juste pour être a coté de lui, dans ces tribunes. Je le sens juste à côté de moi, la chaleur de ce gaillard et ses 110 kilos. Il était gentil mon papa. Mais même dans les tribunes de Mayol, fallait pas le chercher trop longtemps. Un soir de match, alors qu'on sortait des tribunes à la fin de la rencontre, une bagarre éclate entre plusieurs mecs juste devant nous. J'avais environ 10 ans, mon frère 5 de plus. Là j'ai vu mon père pâlir, voyant déjà la bagarre générale dégénérer dans toute la tribune et nous mettre nous, enfants, devant un sacré danger.
En quelque secondes j'ai vu mon père serrer les mâchoires, nous pousser derrière lui, et fermer les poings. Il était prêt à dégoupiller le premier à s'approcher de nous. Mais comme un dernier ultimatum, il lança à un des gars: "Il y a des enfants ici". L'échauffourée s'arrêta sur le champ.

Le foot ici n'est plus au beau fixe. Mais je regarde encore chaque match. Non pas pour le triste spectacle offert par un club de N2 mais parce que c'est en moi. Le jaune, le bleu, papa et moi. Je n'ai qu'à fermer les yeux et je te vois, assis dans ces tribunes prés de moi. Rien ne s'arrête jamais vraiment. J'ai les yeux fermés. La musique a démarré. Je pense qu'on va gagner.